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N'importe où hors du monde - Critiques Fantasy/SF/Horreur

26 septembre 2018

"Hérédité" de Ari Aster

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Il va être extrêmement compliqué pour moi de parler de ce film. Premièrement, parce qu'il sera difficile d'éviter les spoilers, ce blog n'ayant pas pour vocation première de faire des analyses complètes de films et, deuxièmement, parce que les sentiments que j'ai par rapport à Hérédité sont trop profonds pour que je puisse me contenter de les survoler, ce que je vais pourtant devoir faire.
Lors de ma dernière critique de film, sur Sans Un Bruit, je me rappelle avoir dit que j'avais toujours peur d'être déçue par ce genre, car, lorsque je veux me confronter à l'horreur, je m'y confronte à cent pour cent (voire à deux cent pour cent, si je me sens particulièrement masochiste ce jour-là). En clair, je cherche LE truc, qui va me laisser une emprunte mentale. Je cherche la catharsis ultime.
Pour l'instant, je ne l'ai pas trouvée, et quelque part, j'espère que je ne la trouverai pas. Car, si je prends Hérédité comme échelle de valeur pour essayer de déterminer le choc, il y a des chances que je devienne folle à jamais.  Car oui, après avoir vu ce film, je peux affirmer qu'il est possible d'être littéralement traumatisé par une œuvre de fiction.

Voyons cela de plus près:

Hérédité suit Annie Graham, une miniaturiste qui a récemment perdu sa mère. Les deux avaient des rapports compliqués, et Annie a toujours été opposée à ce qu'elle se rapproche de ses deux enfants, Peter et Charlie. Si Peter ne manifeste pas de regrets par rapport au décès de sa grand-mère, Charlie, en revanche, à beaucoup plus de mal à faire son deuil. Peu après l'enterrement, Annie et sa famille sont témoins d'évènements étranges, qui apparaissent au sein même de leur maison.

Voilà. C'était un exemple des problèmes que je vais avoir avec cette critique: ici, je me suis juste contentée de reformuler ce que j'avais vu dans d'autres résumés du film, précisément pour éviter les spoilers. Pourtant, j'aimerai pouvoir parler de tout ce qui se passe réellement… Malgré tout, je me contenterai de dire cela, à titre préventif: ne vous fiez surtout pas à ce type de résumés. On pourrait s'attendre à ce que ce soit une simple histoire de fantômes, avec la grand-mère qui possède sa petite-fille. Mais ce n'est rien de tout ça. C'est bien plus compliqué et, d'une certaine manière, bien pire.

Pour être honnête, il ne s'agit pas du film d'horreur le mieux écrit que je n'aie jamais vu. Ce qui est extrêmement regrettable d'ailleurs. A mon avis, le problème vient du fait que Ari Aster sait très bien commencer ses films, mais ne sache pas les finir autrement que par une apothéose "conventionnelle". Pour avoir vu ses courts métrages (Munchausen et The Strange Thing about the Johnsons), j'ai pu remarquer que c'était un problème récurrent. Dans le cas d'Hérédité, le climax est atteint dès quarante minutes. Et donc, les quatre-vingt minutes restantes se font sentir comme du remplissage.

Heureusement, quand je parle de climax, c'est un véritable climax pour le coup… Ceux qui ont déjà vu ce film savent de quoi je parle. Pour ceux qui ne l'ont pas encore vu, ce sera un moment extrêmement désagréable à passer, qui pourra aller de l'envie de se cacher les yeux au besoin impérieux de faire une pause, boire un verre d'eau, contenir ses tremblements et laisser échapper un long rire nerveux. Oui, bien deviné, j'étais dans ce dernier cas.

Malgré ce défaut, Hérédité fait réellement partie des tours de force cinématographiques. En particulier pour ce qui concerne la mise en scène. Tout est calculé au millimètre près. Il y a d'ailleurs un rapprochement évident entre les maquettes que fabrique Annie et la maison dans laquelle elle vit avec sa famille. Tant et si bien qu'il arrive fréquemment qu'on confonde maquette et décors studio. La réalisation et la musique parviennent sans aucun mal à créer une ambiance anxiogène au possible. Dès le début, on peut se douter que les personnages seront enfermés dans leur douleur et dans leurs folies.

Un autre détail à préciser, qui a tout de même son importance: vous ne trouverez aucun jumpscare dans Hérédité. Pas le moindre. L'horreur ne vient pas d'un effet de surprise bref, mais, au contraire, d'une lente observation.

Mais ce qui est le plus marquant au final, c'est la façon dont le thème commun à toutes les œuvres d'horreur est traité: la mort et l'impossibilité d'y échapper. La mort y est impitoyablement réaliste, sans effets gore excessifs, mais sans aucun filtre non plus. Ari Aster ne nous épargne pas la vermine et la pourriture. Il ne nous épargne pas non plus la douleur que la mort d'un être cher entraine, et c'est sans doute ça qui rend son film si marquant. Les acteurs, Toni Colette en tête, ont su rendre compte de la violence du deuil avec une telle justesse qu'on ne peut que ressentir de l'empathie pour les personnages, et par la même, souhaiter de tout son cœur que les choses aient pu se passer autrement.

Voilà tout ce que je m'autorise à dire sur ce film, pour l'instant. Je n'exclus pas la possibilité d'une analyse plus profonde, qui prendra certainement la forme d'un dossier. En effet, il y a tellement de sujets à aborder autour de ce film, tellement de détails à  localiser et surtout, tellement de pièces du puzzle à assembler qu'il me faudra au moins cinq ou six pages pour en faire le tour. Voire davantage.

En attendant, si vous aimez l'horreur et la catharsis que ce genre apporte, vous aimerez Hérédité. J'ai été gentille, je vous ai un peu préparé au choc, ce que ne font pas les résumés IMDB ou la bande annonce (pour une fois que la bande annonce ne raconte pas tout le film!). Je pense qu'il faut quand même se sentir de taille, car il n'y a aucun moment pour souffler, en tout cas, il y a trop peu de notes d'humour pour pouvoir prendre de la distance. Une fois que vous serez entrés dans le film, vous n'en sortirez plus. Et lorsque les deux heures se seront écoulées, il restera encore longtemps auprès de vous.

Un dernier conseil: si après le visionnage vous entendez un claquement de langue. Appelez un exorciste. On ne sait jamais.

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13 septembre 2018

"L'Apprenti Assassin", Tome 1 de L'Assassin Royal de Robin Hobb/ Traduction de Arnaud Mousnier-Lompré

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Chaque lecteur à ses raisons pour lire ce qu'il lit. Certains lisent dans l'espoir de retrouver leur réalité, de façon à comprendre mieux ce qu'ils traversent. D'autres, au contraire, lisent pour s'échapper totalement de cette réalité, car elle leur parait trop cruelle, trop décevante. Je me situe dans ce dernier cas de figure. Le titre de ce blog "N'importe où, hors du monde", fait d'ailleurs référence au dernier vers d'un poème en prose de Charles Baudelaire, Anywhere out of the World, présent dans ses Petits Poemes en Prose :

"Enfin, mon âme fait explosion, et sagement elle me crie : N’importe où ! N’importe où ! Pourvu que ce soit hors de ce monde !".

C'était une façon pour moi de donner le ton, et d'afficher clairement que je rejette le monde dans lequel on nous force à vivre, et que je me réjouis de savoir qu'il existe une porte de sortie à travers la littérature de l'imaginaire.

Tout ça pour dire que, lorsqu'un auteur ou une autrice parvient à laisser cette porte grande ouverte, je ne peux que m'en réjouir d'avantage. Ce que je demande (et je ne dois pas être la seule), c'est d'être transportée dans un autre univers, sans que je ne m'en rende compte. La lecture devenant dans ce cas une action mécanique, et non pas un exercice difficile. Tout devient clair et limpide: je suis là où on veut me mener.

De tels livres sont malheureusement rares, mais celui dont je vais parler aujourd'hui en fait partie. Et je peux vous dire d'ores et déjà que je n'ai pas regretté un seul instant du voyage.

 

L'Apprenti Assassin est le premier livre retraçant les mémoires de Fitz Chevalerie, le narrateur et personnage principal de l'histoire. Comme il s'agit de l'enfant illégitime de Chevalerie, le prince héritier du Royaume des Six Duchés, son grand père a décidé que sa place était près de la famille royale. Fitz est donc abandonné à l'âge de six ans et recueilli par Burrich, le maitre des écuries et fervent serviteur du prince Chevalerie. En grandissant, le garçon se verra contraint de se mettre au service de sa famille en suivant l'enseignement d'Umbre, l'assassin au service du roi Subtil.


Comme vous aurez pu le deviner, ce livre est un ENORME coup de cœur. Plusieurs personnes de mon entourage l'avaient lu, et j'ai eu des avis très divers: certains avaient adoré, d'autres s'étaient vite lassés. Pour ma part, dès la première page, j'ai su que j'allais faire une excellente expérience de lecture. Je ne saurai pas analyser l'écriture de Robin Hobb aussi précisément que je le souhaiterai, mais ce que je peux affirmer, c'est qu'elle réussit à rendre compte du grand pouvoir de l'écriture, qui peut permettre de voyager dans ces mondes imaginaires. Je fais également mention du talent du traducteur, qui a su retranscrire cette qualité d'écriture en français.

Il faut cependant savoir que ce livre n'est pas un livre de fantasy comme on l'entend, c'est-à-dire que ce n'est pas exactement de la High Fantasy, avec des grandes batailles épiques, ou de la Low Fantasy, avec l'omniprésence de la magie et du petits peuples. Il s'agit d'un monde a la fois familier et atypique, qui rappelle un peu l'univers du Trône de Fer. En effet, l'histoire se construit principalement autour d'intrigues politiques.

Cependant, la magie est bien présente dans la vie quotidienne des personnages. La survie du Royaume est garantie par l'utilisation de l'Art, qui s'oppose au Vif. Pourtant, les deux magies sont assez semblables, ayant toutes deux un rapport avec le contact mental. Cependant, dans ce monde, on considère que l'Art est nettement supérieur au Vif, qui est un contact mental avec les animaux. Il y a donc dans ce roman un conflit très clair entre "la bonne magie", celle qui permet de rentrer dans l'esprit des autres, souvent dans le but de les manipuler et "la vieille magie", plus instinctive et plus redoutée, car la croyance populaire veut que ceux qui la pratiquent se transforment en bêtes. Ceci n'étant pas sans rappeler le conflit entre religions monothéistes et cultes païens.

Autre élément atypique dans un livre de fantasy: l'histoire est racontée à la première personne. Avant de le lire, je me demandais si cela fonctionnerait, ce type de discours n'étant pas pratique pour retranscrire les différents points de vue nécessaires à la compréhension d'une série d'intrigues. Néanmoins, comme Fitz a un rôle d'observateur, le lecteur peut facilement avoir accès à différents points de vue à travers lui.

Ceci m'amène au dernier point: les relations entre les personnages sont magnifiquement bien écrites. Ceci notamment grâce au fait que les personnages ne sont jamais complètement bons ou complétement mauvais (à l'exception peut-être de Galen, une sorte de Severus Rogue armé d'une cravache, je vous laisse imaginer…). Nous avons accès très tôt à leurs motivations, et lorsque ce n'est pas le cas, notre opinion d'eux peut changer au moment où on s'y attend le moins. De plus, comme Fitz est un jeune garçon sensible, les scènes de disputes avec les personnes dont il est le plus proche sont extrêmement émouvantes. On arrive a ressentir physiquement sa détresse et sa peur de l'abandon.

L'Assassin Royal est donc un livre que je vous recommande chaudement, même si vous lisez plutôt de la fantasy dans l'espoir de trouver des scènes de bataille épique avec des gros barbares musclés et couverts de sueur. Vous ne trouverez pas ça dans ce roman, mais peut être que vous découvrirez une nouvelle façon de faire qui, je l'espère, vous séduira. Pour ma part, j'ai été totalement conquise, et je regrette de ne pas avoir assez de temps devant moi pour pouvoir me consacrer immédiatement à la suite. Mais enfin, je suppose qu'il vaut mieux varier ses lectures si on veut être une bibliothécaire digne de ce nom.

- Naomi

22 août 2018

“Sur des Mers Plus Ignorées” de Tim Powers/Traduction de France-Marie Watkins

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J'ai toujours trouvé amusant que les enfants soient fascinés par un univers en particulier, au point d'en devenir obsédés. Pour certains, ce sont le monde jurassique, pour d'autres, le monde de l'équitation. Pour ma part, j'ai enchainé les obsessions en fonction des jeux vidéos auxquels je jouais avec mon père. Ainsi, quand j'ai commencé à jouer à Tomb Raider, j'ai tout de suite voulu devenir archéologue pour pouvoir explorer les ruines de l'Egypte Ancienne. Malheureusement, comme je n'avais que six ans à l'époque, je me contentais de regarder des documentaires et de lire des livres sur le sujet plutôt que de courir dans le sable avec des armes en tenue moulante.

Ensuite est venu The Curse of Monkey Island, le troisième volet de la saga Monkey Island. Il s'agit d'un point & click extrêmement connu pour ceux qui s'intéressent un tant soit peu au monde du jeu vidéo. Il s'agissait de mon premier contact avec l'univers de la piraterie. Etrangement, je n'ai pas développé une affection obsessionnelle pour cet univers-là, contrairement à celui de la Terre du Milieu ou du Pays des Merveilles quelques années plus tard. Il s'agit simplement d'un monde où je me sens à l'aise. M'y plonger, dans un jeu, dans un livre ou dans un film, c'est comme si je m'allongeais dans un hamac solidement accroché un jour d'été, à l'ombre, avec une légère brise pour me rafraichir. Comme pour la fantasy, j'y retrouve un moment de mon enfance où je me sentais détendue et heureuse, comme je l'étais devant Monkey Island auprès de mon père.

Il y a quelques temps, j'ai appris l'existence de la source d'inspiration principale du jeu en regardant une vidéo de MrMeea sur les jeux Lucas Arts: il s'agit du livre Sur des Mers Plus Ignorées de Tim Powers. Le seul autre livre adulte autour de la piraterie que j'ai tenté de lire était Pirates de Michael Crichton. Je me suis tellement ennuyée que j'ai décidé de laisser tomber ma lecture. J'espérais ne pas avoir à vivre la même expérience avec ce petit nouveau. Comme je savais qu'il avait inspiré un de mes jeux préférés, je suis partie avec un bon apriori. Malheureusement, ce livre n'a pas su répondre à 100% à mes attentes.

Sur des Mers Plus Ignorées raconte l'aventure de John Chandagnac, forcé de se joindre à l'équipage de pirates mené par Philip Davies. Il y découvre la magie vaudou, utilisée à très mauvais escient par le père de la femme qu'il aime, Beth Hurdwood, pour faire revenir sa femme d'entre les morts. Pour mettre son plan à exécution, celui-ci s'est associé avec le célèbre Barbe Noire, passé maitre dans l'art du vaudou au point de régner sur une armée de morts vivants.

Ceux qui ont déjà joué à Monkey Island reconnaitront tout de suite des similarités entre le livre de Tim Powers et le jeu vidéo: le héros est amoureux de la fille d'un homme riche et puissant et l'antagoniste principal est un pirate barbu ayant réussi a créer un équipage de mort vivants grâce à la magie vaudou. Ceux qui ont vu le quatrième volet de la saga Pirate des Caraibes, quant à eux, se rendront compte à quel point l'intrigue a été pompée sur celle du livre, en plus d'avoir été rendue complètement inintéressante. Mais passons.

C'est assez difficile d'exprimer mon avis sur ce livre. Je l'ai lu en plein été, en espaçant mes séances de lecture sur plusieurs après-midis, ce qui l'a rendu extrêmement difficile à suivre. Pour ma défense, l'auteur ne rendait pas toujours clair le lieu où se trouvaient les personnages dès le départ. J'avais l'impression que tout le monde faisait des énormes sauts de puce entre les bateaux et les ports, les iles, la Floride… ect. Je pense que pour lire Sur des Mers Plus Ignorées, il faut être concentré en permanence sur ce qu'on lit, car l'auteur explique une seule fois le rôle de chaque élément de l'intrigue et n'y revient plus jamais par la suite. Je me réjouissais des rares flashbacks que je parvenais à dénicher.

Tout cela a rendu l'expérience assez pénible, surtout lorsque je ne savais pas quel bateau appartenait à qui. (Pour ceux qui voudront essayer, voici ce que j'ai pu comprendre grâce à wikipedia: le Vorciferous Carmichael est le bateau où se trouve le héros au début du livre. La Jenny est le bateau de Philip Davies. Ça devrait vous aider.) De plus, le héros change de nom dès le deuxième chapitre, passant de John Chadagnac à Jack Shandy. Le fait d'avoir éclipsé une seule ligne de dialogue a du complètement fausser ma compréhension. J'avais cru que je pouvais lire ce livre comme n'importe quel pulp, mais il se trouve qu'il s'agit plutôt du niveau de lecture qu'on demande d'un étudiant en lettres. Personnellement, je n'aime pas trop devoir prendre des notes pour me repérer dans une œuvre que je lis pour le plaisir.

Ce manque de clarté est dommage, parce que Tim Powers écrit réellement bien. On s'attache facilement aux personnages et leur sort devient vite émouvant. Ses descriptions d'endroits, de scènes de bataille et sa représentation du vaudou sont parvenus à me happer. Malheureusement, toutes ces qualités sont obscurcies par le fait que je ne sois pas parvenue à suivre l'avancée de l'intrigue. Si vous vous attendez, comme moi, à retrouver l'esprit un peu léger de Monkey Island, vous serez forcément déçus, mais si vous arrivez à prendre les précautions que j'ai été trop fainéante pour prendre, je pense que vous passerez de meilleurs moments que moi.

-Naomi

22 août 2018

Morwenna de Jo Walton. Traduction de Luc Carissimo.

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Une des principales missions que je serais amenée à réaliser dans ma future carrière de bibliothécaire sera la sélection de nouveaux fonds. Il s'agit pratiquement de LA mission principale, parce que si une bibliothèque dispose d'un budget, c'est surtout pour faire de nouvelles acquisitions. Pour être parfaitement honnête, je trouve cet exercice particulièrement difficile. Pour ce qui concerne les livres, j'ai tendance à rester dans ma zone de confort et ne pas trop m'éloigner des “classiques”, ou des titres qui ne s'éloignent pas trop d'univers avec lesquels je suis déjà familière. Je suis rarement attirée par les nouveautés, en particulier pour ce qui concerne les littératures de l'imaginaire, sans doute par peur d'être déçue.

Cependant, il arrive que je fasse un effort d'ouverture et que, lors d'un léchage de vitrine dans une librairie, je tombe sur un roman inconnu, pour lequel j'ai le coup de foudre. C'était le cas pour Morwenna, que j'ai acheté sans la moindre hésitation.
Les thèmes abordés dans ce roman m'ont pratiquement obligée à en faire l'acquisition: l'adolescence vécue en solitaire, la magie, les livres, les relations mère-fille difficiles… C'était comme si on essayait de me projeter dix ans en arrière. Il restait maintenant à savoir comment ces thèmes étaient abordés, car lorsque on parle de magie associée au plaisir de la lecture, on a tôt fait de sombrer dans des clichés larmoyants, surtout si le personnage principal est une adolescente.

Ce roman nous fait suivre la vie quotidienne d'une jeune fille de 15ans, Morwenna, dans un pensionnat anglais. La jeune fille étant galloise, infirme et dépossédée de sa sœur jumelle depuis peu, elle a du mal à s'intégrer et à se débarrasser de son lourd passé. Elle rend sa mère responsable de la mort de sa sœur et cherche à tout prix à l'éviter. Dans cette situation pour le moins angoissante, les livres de fantaisie et de science-fiction sont le seul réconfort dont elle dispose.

J'ouvre d'abord une petite parenthèse: Dans tous les endroits où je l'ai vu, qu'il s'agisse de libraires ou de bibliothèques, Morwenna a été classé en Fantasy/SF pour adultes. Il y a fort à parier que ce choix de classification a été fait parce que l'héroïne partage ses réflexions et ses expériences sur la sexualité de façon très directe, sans pour autant que ces descriptions aient pour but de provoquer l'excitation. On trouve juste des mots comme “masturbation” et “inceste”, et je pense que ça a suffi à tirer la sonnette d'alarme chez les éditeurs. Je trouve ça extrêmement dommage, déjà parce que c'est idiot de limiter l'accès à un livre à cause de références au sexe quand on sait que l'adolescence est l'âge où on a le plus besoin d'être correctement informé à ce sujet. Et aussi parce que Morwenna est typiquement le  genre de livre qui aurait une place parfaite dans les rayons Jeunesse/Jeunes Adultes.  

En fait, je ne sais même pas si ce livre peut être considéré comme de la fantasy. La magie y est représentée à peu près de la même façon que dans Le Labyrinthe de Pan de Guillermo Del Toro: on ne peut jamais être totalement sur que les créatures que rencontre l'héroïne sont entièrement le fruit de son imagination ou si elles existent vraiment. Dans les deux cas, le point de vue est entièrement focalisé sur la jeune fille, ce qui rend l'interprétation encore plus difficile. Dans Morwenna, l'héroïne reconnait tout de même que la magie n'existe que si on y croit. Alors l'existence ou la non-existence des fées et des évènements magiques dépeint dans le roman dépend exclusivement du lecteur.
Personnellement, je me suis dit que, comme Morwenna est une adolescente, elle possède une capacité d'imagination égale à celle de l'enfance, mais qui commence à s'étioler face aux responsabilités et aux déceptions qu'apporte sa vie. Les évènements magiques lui apparaissent de façon instinctive, sans qu'elle puisse se l'expliquer à elle-même, alors qu'elle arrive parfaitement bien à analyser et expliquer les évènements “réels” qui surviennent dans sa vie. J'ai particulièrement aimé la façon dont l'autrice construit les dialogues avec les fées, qui ne parlent qu'avec des mots simples, et rarement des phrases construites, comme si ces paroles n'étaient que les échos des pensées instinctives de Morwenna.

J'en viens maintenant à la représentation de la mère. Tout le long du roman, celle-ci est dépeinte en des termes extrêmement négatifs. Morwenna la considère comme une sorcière folle, une “reine noire”. On a toujours tendance à diaboliser ses parents à l'adolescence, c'est pour cette raison que j'ai choisi de garder une certaine distance face à ces descriptions haineuses. Comme pour la magie, on ne peut pas vraiment se fier au point de vue de l'héroïne et décider que sa mère est une vraie sorcière de contes de fées, capable de vouloir la mort de ses propres enfants. D'autant plus que, au fur et à mesure que la grande révélation approche, on se rend compte que le grand malheur de Morwenna, la mort de sa jumelle, est lui aussi sujet a interprétation. En tout cas, la seule certitude que l'on puisse avoir, c'est que la mère et la fille sont toutes deux prisonnières d'une relation toxique, voire dangereuse.

Malheureusement, et c'est le plus grand reproche que j'ai à faire sur ce roman: la confrontation finale entre la mère et la fille brise complètement toute la subtilité à laquelle j'ai été habituée pendant ma lecture. Je ne sais pas si l'autrice ne savait plus comment finir son roman ou a été forcée par la pression éditoriale de terminer plus vite que prévu, mais la fin de Morwenna est une des plus décevantes qui m'a été donnée de lire. Je devrais peut être relire ce passage et essayer de trouver une autre interprétation mais je pense sincèrement que la scène est à prendre au premier degré. Si c'est le cas, c'est vraiment dommage.

L'autre reproche que je pourrai faire au roman est le fait qu'il peut aussi se lire comme une encyclopédie subjectives des livres de science-fiction et de fantasy que l'autrice a certainement lu dans sa jeunesse. Les références aux livres sont très précises, et ne peuvent être complètement comprises que si le lecteur à déjà été familiarisé avec ces œuvres. Malheureusement, je suis encore une bizuth dans le domaine de la littérature de l'imaginaire, et je suis loin d'avoir tout lu. Je me suis donc sentie éloignée, écartée même de certains éléments de l'œuvre qui auraient pu donner des clés importantes. Je n'ai rien contre les semi-autobiographies, mais quand les références sont trop implicites, ça me pose un problème.

Malgré ces défauts, Morwenna est un livre que je recommande, ne serais-ce que pour découvrir une œuvre atypique et émouvante. Celles et ceux qui ont eu une adolescence solitaire, rendue moins pénible par la lecture et les restes d'une enfance plongée dans la magie de l'imaginaire s'y sentiront à leur place. Je sais que ça a été mon cas.

- Naomi

Citations favorites:

“Quand je serai grande, je voudrais écrire quelque chose que quelqu'un pourra lire assis sur un banc par une journée pas trop chaude et qui lui fera complètement oublier le lieu et l'heure.”

“Le prêt entre bibliothèques est une des merveilles du monde et une gloire de la civilisation.”

“Ma mère n'est pas une reine noire que tout le monde désespère d'aimer. Elle est en vie, d'accord, mais elle est piégée dans les rets de sa malveillance comme une araignée prise dans sa propre toile.”

“J'ai l'impression parfois qu'il n'y a que les livres qui rendent la vie supportable, comme à Halloween où j'ai voulu vivre uniquement parce que je n'avais pas fini Babel 17. Je suis sure que ce n'est pas normal. Je m'inquiète plus des personnages des livres que des gens que je côtoie tous les jours.”

“Moralement, la magie est tout simplement indéfendable.”

“ ’ Bibliotropes, a dit Hugh. Comme les tournesols sont héliotropes, nous sommes naturellement attirés par la librairie. ’ ”

“ ‘Janine. Elle pense que pour être féministe il faut croire tout le temps la fille. Moi je pense qu'il faut traiter tout le monde de la même façon, dans la mesure du possible.’” -Hugh

“Je ne pense pas être comme les autres. Je veux dire fondamentalement. Ça ne tient pas uniquement au fait que je suis la moitié d'une paire de jumeaux, que je lis beaucoup et que je vois les fées. Ce n'est pas juste parce que je me tiens à l'extérieur alors qu'ils sont tous à l'intérieur. J'ai l'habitude d'être à l'intérieur. Je pense que c'est la façon dont je me tiens à l'écart et regarde ce qui se passe au moment où les choses arrivent qui n'est pas normale. C'est une attitude nécessaire pour pratiquer la magie. Mais comme je ne vais pas recourir à la magie, ça ne sert à rien.”

“ ’ (…) un karass est un groupe de gens qui sont authentiquement interconnectés. Et le contraire est un granfalloon, un groupe qui a une fausse sorte de connexion. Comme de fréquenter la même école. ’ ” – Morwenna

“ Ma mère était un pathétique patchwork de sorcière qui avait tellement utilisé la magie pour intervenir dans sa propre vie qu'il ne lui restait plus aucune intégrité et qu'elle n'était qu'un nœud de haine se consumant en vain.”

22 août 2018

“Le Dernier Voeu”, Tome 1 du Sorceleur de Andrzej Sapkowski. Traduction de Laurence Dyèvre.

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N'ayant pas la chance d'avoir un ordinateur assez puissant pour faire tourner des jeux récents, j’étais restée froide face à la hype qui entoure The Witcher. De plus, comme je l'avais fait remarquer dans une précédente critique, la hype qu'une œuvre ou qu'un auteur entraine à un effet bien souvent répulsif sur moi. Mais bon, comme il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, je finis par céder tôt ou tard, ne serais-ce que pour me faire un avis.
Concernant The Witcher, j'ai eu l'occasion de voir tourner le troisième jeu sur un vrai ordi de gamer et, j'avoue, c'était magnifique. Malheureusement, je n'ai pas eu l'occasion de suivre l'histoire correctement, et même si je suis  –un peu trop- facilement attirée par l'aspect visuel des choses, dans ce cas précis, il me manquait tout de même une intrigue pour pouvoir profiter pleinement de l'expérience.

Je savais déjà que ce jeu était une adaptation d'une série de livres, ce qui est une chose assez rare, puisque, d'habitude, les livres sautent rarement l'étape des films avant de passer aux jeux vidéo. Comme je n'avais pas besoin de claquer 3 mille euros en carte graphique pour profiter d'un bouquin, j'ai décidé de commencer par-là.  

Résumons:

Le Sorceleur, nommé Geralt de Riv, est un tueur de monstres. Il parcourt de nombreux royaumes à la recherche de personnes prêtes à l'employer, afin de les débarrasser de créatures menaçantes. Seulement, en tant que sorceleur, Geralt n'est pas totalement humain. Il est le produit d'une expérimentation, un mutant, si bien qu'il apparait facilement monstrueux aux yeux des autres également.

J'ai été agréablement surprise par ce premier tome, d'autant plus que je n'en attendais pas grand-chose. Je m'étais dite, de manière parfaitement hautaine, qu'un livre que l'on peut facilement adapter en jeu vidéo aurait, forcément, peu de substance. Eh bien, mes préjugés se sont rapidement envolés, et je ferai toujours attention dorénavant de ne pas juger un livre à sa couverture (pour ma défense: Bragelonne à décider de se la jouer “le business avant tout” en éditant une couverture qui donne l'impression que le livre est adapté du jeu, et pas l'inverse. Personnellement, les couvertures avec des images en 3D me donne moyennement envie… )

Le point fort de Andrezej Sapkowski est sa façon de happer le lecteur par une écriture efficace, qui va droit au but sans se perdre dans des descriptions trop longues ou des situations répétitives. Même si la plupart des chapitres sont construits sur le même modèle (sorceleur-traque-monstre et sorceleur-pleure-sur-son-sort pour les chapitres intitulés “la voix de la raison”), j'ai toujours eu la sensation de lire une histoire totalement différente à chaque fois. En réalité, Le Dernier Voeu est plus ou moins une succession de flashbacks, où le héros se rappelle ses missions passées. J'ai également apprécié qu'il y ait un bon équilibre entre les moments humoristiques, et les moments tragiques. Le livre ne bascule ni dans le pathos, ni dans la parodie.


Alors que je m'attendais à lire un roman de fantasy “original”, basé sur quelques références au folklore polonais, j'ai été d'abord surprise de voir des références pas toujours subtiles à des contes de fées de renommée internationale (on peut notamment reconnaitre la belle et la bête et blanche neige). Mais au final, ce n'était pas dérangeant. Ça m'a même rappelée l'ambiance du film Les frères Grimm, qui m'avait beaucoup marquée à sa sortie. De toute façon, le pays dans lequel évolue le Sorceleur est totalement inspiré de nombreux pays d'Europe, et les intrigues et les monstres sont clairement des adaptations de contes et de mythes européens. Bon, après on trouve aussi des elfes et des nains, le niveau 0.1 de l'originalité, mais on va dire que les habitants des pays nordiques les avaient  inventés avant Tolkien.

Petite déception cependant en ce qui concerne le personnage de Yennefer. On me l'avait vendue comme le meilleur personnage de la série et forcément, j'en attendais beaucoup. Au final, je l'ai trouvée très superficielle. Un personnage typique de femme fatale fournie avec des tendances sado-maso, transposée dans un univers pseudo médiéval. En gros, son pouvoir est d'être tellement bonne que les hommes qui la rencontrent tombent tous amoureux d'elle et sont soumis à sa volonté. C'est le genre de représentation féminine qui a tendance à m'énerver. Après, malheureusement, si je commence à faire la liste des femmes mal écrites dans les romans de l'imaginaire, j'y passerai ma vie… J'espère simplement que le personnage évoluera au fil des tomes.

Pour finir, je recommande Le Dernier Vœu, et probablement toute la série du Sorceleur que je vais continuer à lire. Et peut-être, un jour, qui sait, si j'arrive à rester sédentaire suffisamment longtemps et si j'arrive à avoir un salaire qui me permette d'acheter un ordinateur suffisamment puissant, je me mettrai aux jeux. Ou alors, je peux toujours attendre la sortie de la série. Ça me parait plus réaliste. 

- Naomi

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22 août 2018

“Le pion blanc des présages” Tome 1 de La Belgariade, de David Eddings/ Traduction de Dominique Haas.

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Il faut que je vous fasse un aveu: j'ai créé ce blog en le dédiant aux littératures de l'imaginaire. C'est un champ vaste, sensé recouvrir toutes les œuvres situées dans un univers où les règles de notre monde sont dépassées par la magie où bien l'avancée prodigieuse de la science. Cependant, j'ai toujours largement préféré la  fantasy au-dessus de tout autre genre. J'ai dû lire deux ou trois livres de science-fiction dans ma vie et, même si j'ai dédié deux de mes mémoires à l'horreur en bande dessinée, je ne trouve pas dans ce genre un plaisir comparable à celui que je prends en lisant de la fantasy.

Étant une personne très nostalgique, je dirais que j'arrive à retrouver dans ce genre littéraire, les contes de fées et les mythes qu'on me lisait dans mon enfance, mais adapté à mon âge d'adulte. Je ne vois aucun inconvénient au fait de voir se répéter la même trame: des personnes ordinaires qui se retrouvent projetées malgré eux dans une quête pour sauver leur monde d'un mal absolu. J'y trouve même un certain charme. La plupart du temps en tout cas…
Car s'il est finalement assez sain de retrouver des progressions similaires, cela l'est moins de retrouver les mêmes personnages, les mêmes lieux, les mêmes intrigues se répéter encore et encore, avec le strict minimum de variations. Et pourtant, c'est un problème récurrent dans le genre: il souffre d'un sérieux manque d'originalité, au point où je dois remonter dans la chronologie pour savoir quel auteur a copié l'autre.

Résumons donc “Le pion blanc des présages”, premier tome de La Belgariade de David Eddings. Vous me direz si ça vous fait penser à autre chose:

Garion, un jeune garçon, vit avec sa tante, Pol, dans la ferme de Faldor. Il a passé son enfance à écouter les histoires du sorcier Belgarath tout en se demandant pourquoi sa tante refuse de lui parler de son père et de sa mère. Il se lie d'amitié avec un voyageur, dont il ne connait pas le nom, mais qu'il nomme Sire Loup. Ce voyageur avertit les fermiers qu'un objet puissant a été perdu et doit être retrouvé. Garion (alors âgé de 15 ans) part avec sa tante, Sire Loup et d'autres compagnons pour un long voyage.

Imaginez “Harry Potter à l'école des sorciers”, où la révélation de Hagrid (“Tu es un sorcier, Harry” pour celleux qui ne connaitraient pas), aurait lieu après 300 pages. Vous aurez une bonne idée de ce premier tome de la Belgariade. Je l'ai vécu comme un chapitre d'introduction qui s'étendrait sur un roman entier. Je dois dire, qu'à force, c'était un peu lourd. Surtout quand on connait bien les rouages de la fantasy et qu'on sait déjà en quoi vont consister toutes les révélations sans avoir eu à sauter des pages. Certains chapitres étaient même aussi répétitifs qu'une succession d'épisodes de Pokémon: les héros arrivent dans un village, fatigués après des journées de voyage, se reposent dans une auberge, rencontrent des gens, réalisent qu'ils sont suivis et repartent dans l'urgence. Ça irait sur un ou deux chapitres, mais sur 5 ou 6 d'affilée, ça devenait vraiment lassant.

J'ajoute à cela que j'ai eu beaucoup de mal à m'attacher aux personnages. C'est là où on voit la différence entre un archétype et un cliché. Un archétype est un personnage qui sert une fonction dans le récit, ce qui ne l'empêche pas d'avoir sa propre personnalité. Un cliché est un archétype entièrement dépourvu de personnalité. C'est ce que j'ai ressenti à propos du héros, Garion, qui sert juste la fonction de “gamin vaguement curieux, élu de la prophétie” (et je rejoins Enoriel de Reflets d'Acide quand il dit “J'exècre, je hais, j'abhorre les prophéties!”. C'est une des facilités d'écriture que je méprise le plus, et pourtant, ça abonde dans la fantasy…)

Pour résumer, c'est une grande déception, car j'attendais beaucoup de cette saga. Je sais qu'on me l'a présenté comme une œuvre bonne sans être particulièrement originale, mais je ne m'attendais pas à un tel ennui. A chaque fois, je me demande si cette sensation n'est pas due à une mauvaise traduction (au fait, il faut absolument que les traducteurs d'anglais arrêtent de traduire “anyway” par “n'importe comment”. Une bonne fois pour toutes: “ANYWAY” = “DE TOUTES FAÇONS” ou “BREF”). Mais là, je n'ai pas l'impression que ce soit le cas. Le pire, c'est que la fin devenait vraiment intéressante, une fois les “retournements de situations” effectués. Malheureusement, j'ai peur de m'ennuyer une nouvelle fois si je continue la saga. Sans compter le fait que j'en ai encore 4 ou 5 séries de bouquins à entamer. Que voulez-vous, dans la vie, il faut avoir des priorités…

- Naomi

22 août 2018

“Sans un Bruit” de John Krasinski

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J'ai toujours une grande appréhension avant d'aller voir un film d'horreur. Pas parce que je crains qu'il me fasse trop peur, mais parce que je crains qu'il ne me touche pas. Malheureusement, c'est une situation dans laquelle je me retrouve assez souvent. Surtout en ce qui concerne les films d'horreur “conceptuels” comme l'est “Sans Un Bruit”.
L'avant dernier film de ce genre que j'avais vu était “Unfriended” de Levan Gabriadze. Toute l'histoire tournait autour d'un groupe d'adolescents victimes d'une vengeance posthume par une camarade de classe via une discussion Skype. Le principe de base était intéressant, mais le film ne tenait pas sur la durée. J'étais profondément lassée de devoir rester plantée devant une fausse fenêtre Skype pendant plus d'une heure pour voir, au final, un teen movie horrifique bateau avec des scènes de meurtres beaucoup drôles que terrifiantes. Il était clair que l'innovation ne marchait pas dans ce cas-là. Une expérience interactive sur la plateforme aurait été beaucoup plus efficace. C'est à étudier…

J'avais donc assez peur que “Sans Un Bruit” entre dans ce cas de figure. Mais j'en suis ressortie soulagée d'avoir enfin ressenti une véritable angoisse devant un film d'horreur récent.

Dans ce film, nous suivons la famille Abbott, deux parents et trois enfants qui évoluent dans un monde où l'humanité a été décimée par des créatures (probablement extraterrestres) aveugles, mais qui possèdent une ouïe surdéveloppée. Cette famille parvient à survivre en faisant le moins de bruit possible, notamment en utilisant la langue des signes pour communiquer et en marchant pied nus. Comme le moindre son trop fort peut alerter les créatures, les membres de la famille sont constamment sur leurs gardes, mais personne n'est à l'abri d'une maladresse.

Je dirais que “Sans Un Bruit” et bel et bien un film d'horreur conceptuel, car il propose une utilisation du son qui n'a été que rarement expérimentée (le seul autre exemple que j'ai pu trouver est “Hush” de Mike Flanagan, que je compte aussi visionner). Ici, le réalisateur a voulu faire tenir son film sur l'idée que le bruit attire la menace sur les personnages alors que, en temps normal, c'est la menace qui déclenche le bruit (les cris, les meubles qui tombent, ect). Cette idée fonctionne parfaitement. Je me suis retrouvée scotchée à mon siège en retenant mon souffle de nombreuses fois, comme le reste du public (on sait qu'on est en face d'un film d'horreur efficace quand les spectateurs se taisent tout du long). De plus, pour une fois, les jumpscares ont un véritable intérêt: ils déclenchent à la fois un sursaut et l'appréhension que quelque chose de bien pire va arriver à cause de cette soudaineté.

Une des grandes forces du film est que l'on s'attache très facilement aux personnages, et ce malgré une structure familiale un peu trop “Amérique des années 50 à mon gout”, avec la maman douce, fragile et enceinte et le papa ours looké comme un bucheron. Les enfants sont extrêmement touchants, surtout la jeune ado malentendante. Devant moi-même faire face à ce handicap de manière plus modérée, j'ai été particulièrement touchée par ce personnage, notamment lorsqu'elle refuse les appareils auditifs que lui fabrique son père qui, d'après elle, ne fonctionnent jamais. J'ai aussi beaucoup apprécié que le son soit géré de manière à ce que les spectateurs puissent entendre ce qu'elle “entend”, de façon à ce qu'on puisse comprendre ses difficultés à identifier les sources de danger.

Les seuls reproches que j'aurai à faire concernent d'une part, l'aspect des créatures. J'aurai préféré ne pas les voir entièrement, pour laisser une impression de menace indistincte, trop rapide pour être vue à l'œil nu, comme un fléau. Leur design n'était pas particulièrement intéressant et devenait même grotesque vers la fin du film. D'autre part, comme je l'ai laissé entendre plus haut, je n'ai pas aimé la structure trop “traditionaliste” de la famille, où la survie de la famille repose en priorité sur le père pendant que la mère et les enfants sont clairement montrés en position de faiblesse (après coup, j'ai vu que le film avait été produit par Michael Bay et je ne me suis plus étonnée de rien…). Heureusement, la représentation d'une personne malentendante jouée par une actrice réellement malentendante rattrape un peu ce manque de progrès, surtout parce qu'il s'agit d'une bonne représentation.

Je vous encourage grandement à voir “Sans Un Bruit”, et si ce n'est pas trop tard, je vous encourage doublement à aller le voir au cinéma, où les effets sonores seront logiquement beaucoup plus puissants. Par contre, il s'agit typiquement du genre de film dont on profite beaucoup moins au deuxième visionnage. Mais pas d'inquiétude, le premier devrait suffire pour un très long moment.

- Naomi

22 août 2018

"De Bons Présages" de Terry Pratchett et Neil Gaiman / Traduction de Patrick Marcel

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Avant de commencer, il me parait important de préciser la raison d'exister de cet énième blog de critiques:
Depuis quelques mois, je travaille bénévolement dans une bibliothèque de village, où le fond de ce qu'on appelle “les lectures de l'imaginaire” n'arrive pas à sortir aussi régulièrement que l'équipe le souhaiterait. Comme il s'agit pratiquement des seuls genres d'ouvrages que j'emprunte en bibliothèque, je me suis dit: “Pourquoi ne pas faire des notes du style ‘coup de cœur des bénévoles’ sur les livres de Fantasy et de SF, pour encourager les gens à les emprunter?”. L'idée a été validée, mais il reste un problème: je n'ai encore jamais écrit ce genre de notes.
Pour dire la vérité, je trouve ce procédé assez frustrant, car il s'agit simplement de “faire vendre”, ce qui ne laisse pas beaucoup de place aux avis constructifs. On veut faire sortir le fond, alors il faut dire que c'est bien.
Je me suis dit que ça serait une meilleure solution d'essayer d'écrire une critique au préalable, histoire de pouvoir au moins définir les aspects positifs de l'ouvrage qui pourront intéresser certains lecteurs. Le but ultime étant de faire découvrir à des gens qui ne seraient pas familier avec les lectures de l'imaginaire des univers à mille lieues de ce à quoi ils étaient habitués jusqu'à lors.

Bref, passons aux choses concrètes:

Depuis toute jeune, je suis une grande admiratrice de Terry Pratchett. Comme Terry Gilliam, il a été le grand père que je n'ai jamais eu. J'ai dévoré la série du Disquemonde (pas tous les livres, mais ça ne saurait tarder), en pensant d'abord qu'il s'agissait de simples parodies, mais au final, ces livres apportent une profondeur rarement égalée dans les sagas de fantasy. Comme quoi, l'humour peut aussi aider à faire comprendre des sujets compliqués et graves au lieu de les minimiser.
En revanche, je ne connais pas très bien Neil Gaiman. J'ai lu (et vu) Coraline et L'Etrange Vie de Nobody Owens assez tard dans mon adolescence et je l'ai facilement assimilé à un Tim Burton moins flamboyant. De plus, comme j'ai tendance à me méfier des auteurs hypés et que je vois son nom beaucoup trop souvent sur internet, j'ai beaucoup hésité avant de me lancer à lire ses œuvres.
De Bons Présages, était un bon compromis entre l'œuvre d'un auteur que j'adore, et d'un dont je n'osais pas parler en bien de peur de rejoindre l'avis général (oui, j'ai peur d'être trop mainstream. Ce blog est aussi fait pour me libérer de mes tendances dédaigneuses)

Dans ce livre, l'Apocalypse est proche. Le Paradis et l'Enfer veulent se battre pour le contrôle de la Terre. Cependant, un démon, Rampa (anciennement Rampant) et un ange, Aziraphale, tous deux présents lors du péché originel, ne tiennent pas à la disparition de l'humanité. Tous les deux ont réussi à vivre des vies confortables depuis la création du monde jusqu'à nos jours. Rampa satisfait son matérialisme, notamment avec de beaux vêtements et une voiture de luxe pendant qu'Aziraphale collectionne les livres dans une librairie où les clients sont vite chassés. Ils vont donc essayer de saboter cet évènement tant redouté.

Étant préoccupée par l’ état -désastreux- de notre monde, je trouve un certain confort dans les récits qui traitent de l'Apocalypse avec un haut niveau d'absurdité. Allez savoir pourquoi, ça me rassure. Je m'attendais tout à fait à retrouver un décalage humoristique propre au style de Terry Pratchett dans ce livre. Il n’y a que lui pour manier les expressions imagées avec autant de précision (Je me suis sentie particulièrement concernée par: “le ton calme de quelqu'un qui a supporté tout ce qu'il était capable de supporter et qui va démissionner tout de suite après pour aller élever des poulets quelque part”).

Qui dit Apocalypse dit forcément les Quatre cavaliers: la Guerre, la Famine, la Pollution (qui remplace la Pestilence, plastique et effet de serre oblige) et la Mort. Si la Mort est ici en tout point semblable à celle de la série du Disquemonde, les trois autres cavaliers sont la personnification des plus grands dangers de notre monde moderne. La Guerre est une vendeuse d'armes et journaliste de guerre, la Famine est un homme d'affaire spécialisé dans les fast food et les produits de régime tandis que la Pollution s'occupe de créer des catastrophes écologiques à la chaine. J'ai trouvé l'écriture de ses trois personnages particulièrement glaçante, car s'ils sont bel et bien les agents du chaos, il reste clair dans le livre que ce sont les humains qui font le plus gros du travail.

De façon générale, j'ai beaucoup apprécié ce livre. D'une part pour les thèmes abordés (la fin du monde, la religion, la place de l'humanité sur Terre) et d'autre part pour le soin apporté aux personnages. Les auteurs n'hésitent pas à prendre le temps de les développer et de prendre chaque point de vue séparément, ce qui les rend très attachants. (J'ai eu beaucoup de tendresse pour deux personnages en particulier: Adam Young alias l'Antéchrist, à la tête d'une bande d'enfants tous droits sortis d'un film des années 80. Et Anathème Bidule, une sorcière qui tente de déchiffrer les “belles et bonnes prophéties” de son aïeule Agnès Barge).

Ce que je pourrai reprocher aux auteurs, c'est une certaine tendance à se perdre en digressions. Personnellement, je n'y vois pas de trop grands inconvénients, vu que les sujets abordés me plaisent et m'amusent, mais ça ne facilite pas la lecture. De plus, il est toujours difficile de se concentrer sur un récit lorsque les personnages principaux et secondaires ont tous leurs points de vue représentés. J'ai eu du mal à comprendre l'intrigue autour de l'Antéchrist et le véritable rôle de Rampa et d'Aziraphale. En bref, les forces de ce livre sont aussi ses faiblesses. Cependant, il mérite de se lire une deuxième fois, et d'aller à la pèche aux références. Si on ne sait pas qui est Ken Russel où a quoi le nom Damian fait référence, on risque de passer à côté de certaines blagues.

Pour résumer, De Bons Présages est un très bon livre de fantasy urbaine. Pour peu que l'on accepte de se concentrer un peu plus que la moyenne, on passe un excellent moment en le lisant. Les répliques et les situations restent longtemps en mémoire et on se laisse facilement émouvoir. Je recommande, et je compte bien redécouvrir Neil Gaiman en commençant par American Gods.

Et bien sûr, je continue le Disquemonde.

- Naomi

 

Citations favorites:

. Certes, par définition, le pire, c'était l'Enfer, bien entendu. Mais Rampa se rappelait à quoi ressemblait le Paradis, et les points communs avec l'Enfer ne manquaient pas. Pour commencer, impossible de boire un bon coup ni dans l'un, ni dans l'autre. Et il était aussi malsain de s'ennuyer dans l'un que de ne pas s'ennuyer dans l'autre.

. “On dirait que l'Apocalypse est un film à grand spectacle que vous cherchez à vendre au plus grand nombre de pays possibles.” – Aziraphale

. “Un petit cochon est allé aux enfers

Un petit cochon est resté chez lui

Un petit cochon s'est repu de chair humaine crue et fumante

Un petit cochon a violé des vierges

Et un petit cochon a gravi une montagne de cadavres pour atteindre le sommet

– Nounou Astaroth

. L'Enfer n'était pas un puits gigantesque de Mal, pas plus que le Paradis, de l'avis de Rampa, n'était source de Bien; c'était juste les couleurs opposées d'un grand jeu d'échecs cosmiques. L'article authentique, la véritable grâce et le mal effroyable se trouvaient dans l'âme humaine…

. “On grandit en lisant des histoires de pirates et de cowboys et d'astronautes et tout ça, et au moment où tu crois que le monde est plein de trucs géniaux, on te dit qu'en fait y a que des baleines crevées et des forets abattues er des déchets radioactifs qui durent des millions d'années. Ça vaut pas la peine de grandir si vous voulez mon avis.” – Adam Young

. Tout n'était que noirceur, désespoir et épouvante. Il n'y avait aucune lueur au bout du tunnel – où s'il y en avait une, c'étaient les phares d'un train qui arrivait.

. Le cerveau humain n'est pas équipé pour voir la Guerre, la Famine, la Pollution et la Mort quand les Quatre ne tiennent pas à être vus, et il est devenu tellement doué pour ça qu'il réussit souvent à ne pas les voir alors qu'ils sont partout autour de lui.

. Il ne voyait pas pourquoi les gens font tant d'histoires pour un bête fruit, d'ailleurs, mais ça rendait la vie beaucoup plus drôle. Et quels que soient les ennuis encourus, toutes les pommes valaient la peine qu'on les cueille, selon Adam.

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N'importe où hors du monde - Critiques Fantasy/SF/Horreur
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